Par Karine Légaré
Trois sièges brisèrent la quiétude des habitants de la Côte-de-Beaupré.
À trois moments, les Anglais eurent comme dessein de faire tomber la ville de Québec, château fort des Français au nouveau monde. Le premier épisode intervint très tôt. Déjà en 1628, les Anglais furent aux portes de la ville et Samuel de Champlain dû capituler un an plus tard. Ce dernier reprit tout de même les commandes de la colonie en 1632. Les Anglais récidivèrent en 1690, mais échouèrent totalement leur mission cette fois-là. Le dernier siège, fatidique celui-là, fut celui de la Conquête en 1759 et marqua la fin du Régime français au Canada.
Inévitablement, ces événements eurent des répercussions sur la vie tranquille des gens de la Côte-de-Beaupré. Fiers défenseurs de leurs terres et fort de leur attachement pour la mère patrie, les habitants de la Côte-de-Beaupré participèrent à des échanges armés et combattirent, à quelques reprises, les Britanniques aux côtés des Français. Certains agirent à titre de miliciens, d’autres au sein de groupes formés à la hâte, sur l’instant du moment. La succincte synthèse qui suit retrace ce qu’ont été les actions des habitants de la région lors des trois sièges anglais.
1628
La première attaque fut celle des frères Kirke. Très peu de gens habitaient alors la région. Seule la partie nommée cap Tourmente était occupée par la ferme de Samuel de Champlain construite deux ans plus tôt. Le matin de l’attaque, le 9 juillet 1628, des hommes des Kirke étaient partis au moyen d’une barque de Tadoussac, endroit où étaient amarrés les bateaux anglais. À destination, les Anglais usèrent de subterfuges et déjouèrent la méfiance des engagés de l’Habitation du cap Tourmente, même si ces derniers avaient été avertis du danger. S’exprimant dans une bonne langue française, les Anglais se présentèrent aux gens de Champlain comme faisant partie des leurs. La confiance établie et la surveillance relâchée, l’occasion fut alors idéale pour les hommes des Kirke de brûler la ferme ainsi que les bêtes et de faire prisonniers les engagés. Ces derniers furent livrés à Champlain quelques jours plus tard par des messagers. Lors de ce premier épisode, l’attaque des Anglais ne fut guère contrée, le subterfuge ayant pris au dépourvu les fermiers du cap Tourmente. Il en fut autrement du suivant.
1690
Au tour de Sir William Phips d’être aux abords de la ville Québec afin de riposter contre les raids de Frontenac en Nouvelle-Angleterre. Un détachement de soldats anglais débarqua alors sur la côte de Beauport. La résistance de la part des milices de Beauport, de la Côte-de-Beaupré et de l’Île d’Orléans s’avéra tenace. Parmi les opposants se trouvait Daniel Testu de l’Ange-Gardien, futur prêtre. Il y avait aussi Sieur Pierre Carré, cultivateur de Sainte-Anne-de-Beaupré, qui commandait les miliciens. Quarante séminaristes de la ferme modèle de Saint-Joachim joignirent également les rangs des opposants et combattirent auprès de la milice. Voici ce que les bienheureuses mères de l’Hôtel-Dieu de Québec révélèrent au sujet de l’implication des séminaristes :
«Quarante séminaristes, qui étoient à St-Joachim et qui bruloient du désir de combattre demanderent et obtinrent la permission de venir à Beauport : ils sçavoient fort bien tirer, et dès la première décharge qu’ils firent sur le camp des ennemis, l’épouvante les saisit {les ennemis} 1.»
Un mort fut malheureusement signalé parmi le bataillon des élèves. Pierre Maufils de philosophie rendit l’âme à l’Hôtel-Dieu de Québec. L’ennemi fut tout de même repoussé.
1759
La conquête britannique fut, de loin, celle qui rompit momentanément la quiétude des gens de la Côte-de-Beaupré. Deux batailles importantes s’y déroulèrent, en plus de tous les incendies allumés par les hommes de Wolfe aux maisons des habitants.
Le 10 juillet 1759, le marquis Louis-Joseph de Montcalm écrit dans son journal que les miliciens de la Côte-de-Beaupré étaient requis pour défendre le campement français situé à Beauport, alors que Wolfe aménageait son campement de l’autre côté du Sault Montmorency, à l’Ange-Gardien (aujourd’hui Boischatel). Deux cents hommes originaires de l’Ange-Gardien et de Saint-Joachim furent mandés pour surveiller les gués de la rivière.
31 juillet 1759.
Le premier affrontement armé survint du côté du campement de Wolfe à L’Ange-Gardien, sur la rive est de la chute Montmorency.
La légende de la Dame blanche, une des plus connues du Québec, découle de cet événement. En effet, à l’approche des ennemis, un dénommé Louis Gaulthier, habitant de Beauport, se porta volontaire et prit les armes contre les Anglais. Malgré la défaite retentissante des troupes de Wolfe, le destin de Louis Gaulthier avait basculé. L’arme anglaise lui avait été fatale. Rose, la fiancée de Louis, avait retrouvé son corps inanimé. Désespérée, elle mit un terme à sa propre vie en se jetant dans la chute Montmorency, vêtue de sa robe de mariée.
Wolfe avait averti la population de se garder loin des conflits armés. Ce conseil n’ayant pas été entendu, la riposte de Wolfe ne se fit pas attendre… L’implication des Canadiens lors de cette bataille entraîna sa colère. Il ordonna donc à ses soldats de piller et de brûler les propriétés des habitants de la Côte-de-Beaupré et des environs de Québec.
23 août 1759.
Saint-Joachim devint le lieu d’échanges armés douloureux pour les habitants. De fait, une quinzaine de paroissiens et leur curé, Philippe-René Robineau de Portneuf, s’opposèrent vivement aux troupes anglaises dirigées par le capitaine Alexander Montgomery.
« Une cinquantaine d’habitants étaient alors rassemblés dans le voisinage, observant les mouvements des ennemis. Lorsqu’ils les virent occupés à détruire et à brûler le presbytère et l’église, ils comprirent que leurs habitations étaient menacées du même sort, et se déterminèrent à défendre leurs propriétés. Munis de fusils de chasse, ils s’embusquèrent sur le penchant d’un coteau couvert de bois (…). Le brave curé ne crut pas pouvoir abandonner ses paroissiens dans cette occasion périlleuse (…) Les Canadiens défendirent vaillamment leur poste; (…) menacés d’être cernés de toutes parts, ils prirent la fuite, laissant sur le champ sept à huit des leurs, ou morts ou dangereusement blessés. (…) Grièvement blessé, M. de Portneuf put néanmoins suivre ses gens dans leur fuite. Mais épuisé par la perte de son sang, il tomba sur une pierre (…). 2»
L’abbé Casgrain, qui écrit ce passage plus d’un siècle plus tard, affirme que les prisonniers furent tous scalpés et massacrés par les soldats de Montgomery.
Or, au cours de l’été 1759, d’autres habitants de la Côte-de-Beaupré auraient été faits prisonniers. De fait, une trentaine de miliciens de Château-Richer furent capturés. Nous connaissons l’existence de ces enlèvements grâce à une liste de prisonniers dressée en 1762 par le général James Murray qui recueillit pour ce faire, des témoignages de familles. Des actes notariés mentionnent également certaines disparitions. Antoine Toupin fils fut « fait prisonnier par les Anglais lors de leur descente dans la Coste-de-Beaupré » (Notaire Antoine Crespin, 14 avril 1760). Il en fut de même pour René Gagnon, absent de la colonie depuis cinq ans (Crespin, 10 août 1764). Les circonstances exactes entourant la disparition de ces habitants demeurent toutefois obscures. La trentaine d’habitants de Château-Richer auraient été capturés ensemble à bord de bateaux (« taken on board of some Vessells in the River in 1759 »). Un certain François Huot, de l’Ange-Gardien, fut quant à lui fait prisonnier à Montmorency. La liste de Murray précise que plusieurs captifs furent emprisonnés dans différentes prisons de Grande-Bretagne et d’Irlande et furent relâchés par la suite. Louis Cloutier, né à Sainte-Anne-de-Beaupré et habitant de Château-Richer fut, quant à lui, emmené en captivité à Philadelphie3. Quoi qu’il en soit, les questions concernant les prisonniers de 1759 demeurent entières et nécessitent des éclaircissements.
À la suite de la Conquête, le pays passa aux mains du gouvernement britannique. La menace ennemie ne fut guère enrayée pour autant. Les Américains reprirent le flambeau en tentant à quelques reprises d’envahir le Canada. Le centre des combats armés se déplaça toutefois et la Côte-de-Beaupré ne fut plus directement attaquée.
1 Mères Jeanne-Françoise Juchereau de St-Ignace et Marie-Andrée Duplessis de Ste-Hélène, Les annales de l’Hôtel-Dieu de Québec, 1636-1716, Québec, Hôtel-Dieu de Québec, 1984 (1939) p. 256.
2 L’Abbé René-E Casgrain, Histoire de la paroisse de l’Ange-Gardien, Québec, Dussault & Proulx, Imprimeurs, 1902, p. 131-132.
3. Robert Larin, «Prisonniers canadiens, déportés acadiens, expatriés républicains à Philadelphie et dans New-York (1755-1783)», Mémoires de la société généalogique canadienne-française, vol. 50, n°2, cahier 220, été 1999, p.106.
Monsieur Larin s’est intéressé particulièrement à cette liste de prisonniers dressée par Murray.
Bibliographie
BOUCHARD, Léonard. Le cap- tourmente et la chasse aux oies blanches.Montréal, FIDES,1976. 160 p.
CASGRAIN, L’Abbé René-E. Histoire de la paroisse de l’Ange-Gardien. Québec, Dussault & Proulx, Imprimeurs, 1902. 374 p.
JUCHEREAU de St-Ignace, Mères Jeanne-Françoise et Marie-Andrée Duplessis de Ste-Hélène. Les annales de l’Hôtel-Dieu de Québec, 1636-1716. Québec, Hôtel-Dieu de Québec, 1984 (1939). 447 p.
LAPIERRE, Laurier L. 1759, La bataille du Canada. Québec, Le jour, éditeur, 1992. 303 p.
LARIN, Robert. « Prisonniers canadiens, déportés acadiens, expatriés républicains, à Philadelphie et dans le New-York (1755-1783) ». Mémoires de la société généalogique canadienne-française. Vol. 50, no. 2, cahier 220, été 1999. p. 105-111.
LUSSIER, Isabelle et Caroline Roy. Une histoire d’appartenance. La Côte-de-Beaupré et l’île d’Orléans. Sainte-Foy, Les Éditions GID inc., 2002. 239 p.