Historique de la Grande Ferme
Avant de parler de la Grande Ferme, il faut revenir en arrière et faire connaissance avec ce grand personnage qu’était Samuel de Champlain.
Nous voilà en 1608. Champlain remonte le fleuve en barque depuis Tadoussac où il a laissé le Don de Dieu pour venir fonder Québec le 3 juillet. Le 30 juin, il passe devant un gros cap qu’il nomme Tourmente à cause des forts vents. Il découvre alors au pied du cap de belles prairies qu’il fera exploiter. Sur ces terres fertiles se retrouvent les plus anciennes fermes du Canada et peut-être même de toute l’Amérique du Nord. Champlain édifie sa ferme modèle en 1626. Il fera construire les bâtiments sur le modèle de ceux que l’on retrouve dans les villages normands. Il dit dans ses écrits de voyage «Je fis néanmoins employer la plupart des ouvriers à faire ce logement, l’étable de soixante pieds de long et sur vingt de large, et deux autres corps de logis, chacun de dix-huit pieds sur quinze, faits de bois et de terre.»
Les premiers habitants
Pour faire les cultures et prendre soin des animaux, Champlain y installe trois personnes, selon l’historien Gabriel Sagard, Nicolas Pivert, sa femme et sa petite fille, leur nièce et des engagés sous la conduite du sieur Foucher. Pour le recueillement et les offices, les pères Récollets élevèrent un petit oratoire. Tout alla bien sur la ferme jusqu’au début de juillet 1628.
Destruction de la ferme modèle
Le 8 juillet 1628, les frères Kirke, David, Lewis et Thomas, remontent le fleuve sur le William pour venir attaquer Québec. Chemin faisant, ils envoient une barque chargée d’une quinzaine de soldats pour incendier la ferme et massacrer les animaux. C’était la méthode de la «terre brûlée.» En 1632, de retour de son exil en France, Champlain entreprend de rebâtir sa ferme du cap Tourmente.
La Grande Ferme
Un deuxième grand personnage s’intéresse à ces vastes et belles prairies. C’est Monseigneur de Laval qui fonda le Séminaire de Québec en 1663. C’est probablement du pont du navire, Le sacrifice d’Abraham, qui l’amenait à Québec le 16 juin 1659, qu’il vit pour la première fois les terres du cap Tourmente. Entre 1662 et 1668, il acheta les huit parts de la seigneurie de Beaupré, fondée en 1636, au coût de 8 900 livres tournois. Il mettra au monde la Grande Ferme en 1667.
Pendant longtemps, il n’y eut que deux fermes : celle d’en bas, la Petite Ferme, aujourd’hui la plus considérable, et celle d’en haut, la Grande Ferme, célèbre par son école des arts et métiers, son petit séminaire et sa chapelle, devenue la première église paroissiale de Saint-Joachim.
Le premier fermier de cette dernière se nommait Jean-Baptiste Guilbault. Voici les conditions qui lui étaient faites par le supérieur du Séminaire de Québec, l’abbé François-Benjamin-Louis Sorbier de Villars :
1) Maître Guilbault (J.B.) nourrira la ferme avec du bœuf.
2) Il fera mettre 12 livres de bœuf au pot tous les matins, ce qui fait plus d’une demi livre par tête. Il faut faire peser exactement chaque jour.
3) Il fera tuer des vaches ou des bœufs pour fournir à la dite dépense ou il pourra acheter dans la paroisse du bœuf quand il en trouvera à acheter.
4) Il gardera huit cochons à la ferme tant sur ceux qui sont actuellement à l’engrais que ceux qu’on doit y mettre. Il ne doit pas choisir les plus beaux; tous les autres seront envoyés au Séminaire. Les dits huit autres seront salés : on n’y touchera pas avant Pâques. Je charge Maître Guilbault de clouer les barriques où l’on mettra le dit lard et de les mettre en un lieu de sûreté et à l’abri des vermines.
5) On donnera le soir à souper du lait avec la soupe comme de coutume mais point de lait à dîner.
6) Maître Guilbault enverra tous les deux mois au moulin cinquante minots de blé ce qui doit suffire pour nourrir la ferme et au-delà.
7) Il aura soin de faire écrire tous les envois au moulin qu’on fera des dits cinquante minots; il fera écrire quand on commence à manger sur les dits cinquante minots et quand ils finiront.
8) Il fera écrire tous les soirs le nombre de minots de blé battus, sortis de chaque grange aussi bien que l’avoine et les pois.
9) Il donnera à petit Jean huit pots d’eau de vie, 4 pots à barbe, 4 à Marie-Jeanne, 4 à Cécile, 4 à sa femme, 4 à Marguerite; il en donnera deux à Babé et en prendra huit pour lui
10) Il faudra dire à Louis Paré qu’on ne peut lui permettre de semer la terre qu’il avait demandée à M. Villars et que la dite terre avance trop sur le domaine.
11) Il enverra au Séminaire la laine qui est à la ferme, filée ou non filée, par la première occasion.
12) Il pèsera le tabac et m’en rendra compte.
13) Je lui recommande de nouveau de ne prêter ni blé ni denrées sans permission et de faire ramoner souvent les cheminées.
14) Il faudra labourer au bout du jardin de Janot et raccommoder le jardin de Cécile.
15) Je recommande à Guilbault de faire faire des bardeaux tant qu’il pourra jusqu’à cinquante mille.
Donné en notre maison seigneuriale de Saint-Joachim, le vingt-neuf octobre 1751.
Villars, ptre sup. du sém.
Destruction des bâtiments
À l’automne de 1759, la paroisse de Saint-Joachim et la Grande Ferme présentaient un triste spectacle après le passage des soldats de Townshend. Les maisons, les granges, les clôtures mêmes avaient été incendiées; tous les animaux avaient été tués ou volés.
Malgré son triste état financier, le Séminaire de Québec voulut exploiter de suite les fermes de Saint-Joachim. Le 10 juillet 1760, il donnait à bail à Julien Fortin et Marie Navers son épouse, une partie de la Grande Ferme. Le bail, daté de 1760, était de cinq ans.
Avant la guerre, il y avait à la Grande Ferme un cheptel de 150 bêtes à cornes dont il ne resta rien. Le Séminaire donna des animaux à Fortin. Il semble avoir été satisfait de son fermier puisque le 18 octobre 1765, il lui renouvelait son bail pour sept ans.
Fermiers exploitants de la Grande ferme
Bariault, Jean | 1765 |
Bourk, Claude | 1765 |
Brown, Hugh | 1865-1885 |
Chaneau, Jacques | 1702-1715 |
Chaneau, Louis | 1715-1723 |
Fortin, Célestin (père) Fortin, François Fortin, Joseph Fortin, Julien Fortin, Pierre |
1672-1677 |
Gagnon, Pierre | 1672-1677 |
Guilbault, Jean-Baptiste | 1751-1753 |
Hébert, François | 1765 |
Labranche, Jean | 1765 |
Labranche, Joseph | 1761-1764 |
Landry, Jean-Baptiste | 1765 |
Lavallée, Jean-Baptiste | 1764 |
Lessard, Léopold | 1941 |
Parent, Jean | 1753-1760 |
Poulin, Joseph | 1723-1751 |
Raymond, Joseph | 1765 |
Renaud, Napoléon Renaud, Odilon (son fils) |
1910-1941 |
Saint-Denis Pierre | 1667-1672 |
Saint-Hilaire, Guillaume | 1764 |
Soumanse, L’abbé Louis | 1677-1702 |
Thomassin, Antoine | 1885 |
1910-1941
En ce qui concerne les frères Fortin, ils ont reçu la médaille du Mérite agricole le 13 janvier 1895.
Un grand événement marquera la Grande Ferme : la construction d’un quai pour recevoir le vapeur Montmorency de la Compagnie des vapeurs de Montmorency en 1870. Hugh Brown et Célestin Fortin avaient deux parts de 10$ dans cette compagnie. Le vapeur aura une courte vie puisqu’il sera détruit par une grosse mer le 27 mai 1871.
Sources
1 Voyages de Champlain, édition Charles-Honoré Laverdière (1872) page 1109 et suivantes.
2 Le grand fichier, Archives du Séminaire de Québec.
3 Baillargeon, l’abbé Noël, Le Séminaire de Québec de 1800 à 1850. PUL, 1994, 410 p.
4 Bouchard, l’abbé Léonard, Le cap Tourmente et la chasse aux oies blanches. Fides, 1976.
5 M. Pierre Godin, de La Grande Ferme. Merci pour son concours avec ses notes historiques.
1962 Le Séminaire de Québec, pour souligner son 300e anniversaire de fondation, mandate Monsieur Michel Guimond, archéologue au ministère des Affaires culturelles du Québec, de dégager les vestiges de la première église de Saint-joachim, construite en 1685 par Mgr de Laval son fondateur, sur le site de la Grande Ferme.
1969 Le gouvernement fédéral crée la Réserve nationale de faune du cap Tourmante en achetant du Séminaire une grande partie du terrain de la Grande Ferme. Le fermage à la Grande Ferme est alors abandonné.
1975 Le gouvernement du Québec, par le ministère des Affaires culturelles, achète du Séminaire de Québec la maison datant de 1866 et une minime partie du territoire originel de la Grande Ferme. La maison est alors reconnue comme monument historique par la Commission des biens culturels du Québec.
1977 Les travaux de rénovation et de mise aux normes de la maison sont entrepris.
1979 Le centre d’initiation au patrimoine – La Grande Ferme est créé afin d’offrir des stages à une clientèle scolaire de niveau secondaire d’une durée de cinq jours. Ces séjours sont inspirés des classes de patrimoine en France.
1980 Le 10 mars, le premier groupe de quatrième secondaire de la polyvalente La Seigneurie de Beauport arrive à La Grande Ferme.
1982 La Commission scolaire Orléans se retire du partenariat avec le MAC.
1983 La Municipalité de Saint-Joachim devient partenaire avec le MAC. Cette entente durera jusqu’en 1998.
1984 La Corporation du Centre d’initiation au patrimoine – La Grande Ferme est créée comme organisme à but non lucratif. Elle est mandatée par le MAC et la Municipalité de Saint-Joachim de gérer le centre et de veiller à son bon fonctionnement.
1995 Des fouilles archéologiques ont lieu sur le site de La Grande Ferme pour mettre au jour les coins nord-ouest et sud-ouest de la maison de la ferme Saint-Charles ou Ferme d’en haut de 1640.
1996 La Corporation devient propriétaire de la maison et du site de La Grande-Ferme dans le cadre du délestage par le gouvernement du Québec de certains bâtiments patrimoniaux.
1998 La Corporation reçoit une subvention de fonctionnement du MCCQ pour la gestion du bâtiment.
2004 Une nouvelle exposition La Grande Ferme, une histoire de culture est présentée au public durant la saison estivale. Des fouilles archéologiques ouvertes et offertes au public sont proposées par la Coop de travail Artefactuel conjointement avec La Grande Ferme.